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La question du voile

Pour l’Islam la piété (attaqwa) est le meilleur habit


… le reste n’est que convention sociale variable selon les contextes.

Rares sont les thèmes coraniques qui ont fait couler plus d’encre ou soulevé plus de polémiques que la question du voile.


Sans doute est-ce dû à sa portée sémiotique évidente, au fait qu’il exprime l’appartenance à un groupe idéologique ou social déterminé, ou encore à ce qu’il dit de la femme et de son émancipation, enjeu intellectuel ou politique chez bon nombre de penseurs autant musulmans que non musulmans. Le voile est, entre musulmans, le sujet controversé par excellence. Pourtant, il est loin d’être un souci central dans le Coran, puisque seuls trois versets l’évoquent.

L’un d’eux ne concerne que les épouses du Prophète : «… Si vous avez quelque demande à faire à ses femmes, faites-la derrière un voile…» (sourate 33-verset 53), le second s’adresse aux épouses du Prophète et élargit l’ordre pour y intégrer les croyantes : «OProphète, prescris à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles leur jilbab (tunique), c’est pour elles le meilleur moyen de se faire reconnaître et de ne pas être offensées…» (sourate 33, verset 59), cependant ce verset ne prescrit pas une manière précise de se vêtir, et s’il ordonne de se couvrir de leur jilbab, c’est pour se prémunir des agressions courantes, de la part des mécréants à l’égard des femmes qui sortaient — seules, semble-t-il — le soir.

C’est en tout cas à la suite d’un tel incident que, selon Tabari, ce verset fut révélé. D’autres exégètes précisent que ce verset ne s’adresse qu’aux femmes de condition libre afin qu’elles se distinguent par leurs vêtements des femmes esclaves. Les historiens rapportent que Umar Ibn Alkhattab ordonnait de fouetter toute esclave qui osait porter le jilbab exclusivement réservé aux femmes de condition libre. Un autre khabar attribué à Abu Hurayra dit que le Prophète Mohamed a résidé entre Khaybar et Médine trois jours afin de fêter et consommer son mariage avec Saffiyya Bin Yuyay.

Abu Hurayra aurait invité les musulmans pour assister à la fête. Ces derniers s’étaient demandés s’il fallait considérer Saffiyya comme une épouse du Prophète et donc l’une des mères des croyants ou si elle était juste une esclave parmi les captives de guerre (milk yamin), certains ont répondu : si elle porte un hijab, elle est mère des croyants et si elle n’en porte pas, elle n’est que milk yamin. Selon tous ces akhbars, se couvrir d’un jilbab aurait une fonction sémiotique distinctive.

Et Zamakhchari d’expliciter que cette situation était due au fait que les hommes harcelaient les femmes esclaves qui sortaient la nuit. Ce harcèlement apparemment admis par la société ne devait par contre pas toucher les femmes libres; ainsi pour éviter toute confusion et éviter le harcèlement par mégarde des femmes libres en les prenant pour des esclaves, le Coran aurait ordonné aux musulmanes de condition libre de se vêtir autrement que les esclaves. Dès lors, le port du voile est étroitement dépendant des conditions historiques et sociales, si l’on se base sur ce seul verset. C’est pourquoi on considère que c’est un autre verset qui prescrit effectivement le port du voile pour toute musulmane : «Commande aux femmes qui croient de baisser leurs yeux et d’être chastes, de ne découvrir de leurs ornements que ce qui est en évidence, de couvrir leurs seins de voile, de ne faire voir leurs ornements qu’à leurs maris…» (sourate 24, verset 31).

Les nombreux vocables de sens indéterminé que contient ce verset ouvrent à de multiples interprétations. Dans notre verset, deux termes sont concernés par le flou sémantique : «ornements» (zina) et «en évidence» (ma dhahara). Certains exégètes limitent l’ornement aux accessoires que la femme utilise pour mettre sa beauté en valeur, tels que les bijoux, le maquillage ou les vêtements ; d’autres exégètes par contre élargissent le sens de l’ornement pour qu’il inclue les attributs physiques de la femme — on pourrait alors traduire zina par «atours». Même cette définition ne précise pas clairement ce qui est ou n’est pas zina, et s’il est permis ou non de laisser «en évidence» pieds, mains, cheveux, yeux… Suivant les lieux et les époques, ce qu’il convient à une femme de cacher varie considérablement : que l’on songe qu’il y a à peine un siècle une femme qui laissait entrevoir une cheville était considérée comme particulièrement entreprenante. Cette ambiguïté qui ressort du caractère subjectif et normatif des termes employés est encore plus vraie pour ce qui est de l’expression «en évidence» : puisque le verset prescrit de couvrir certains «ornements» et d’en laisser d’autres découverts, ceux qui justement sont «en évidence», cela signifie que «en évidence» n’est pas synonyme, comme on aurait pu le penser, de «visible»: sinon le verset prescrirait de couvrir ce qui est à couvrir et de laisser découvert ce qui est à laisser visible, et ne nous apprendrait rien du tout. Déjà Tabari, au deuxième siècle de l’hégire, insistait sur cette pluralité de références dans notre verset. On comprend alors aisément que les interprétations des ornements évidents et donc des ornements à découvrir aient été si différentes selon les exégètes et selon les époques. Le visage, les pieds, les mains, les cheveux, les bijoux et autres ont été tour à tour considérés comme ornements découvrables pour certains, et comme ornements nécessairement couverts pour d’autres.


Quant au hadith supposé prescrire le voile, il est, de l’aveu des juristes musulmans mêmes, un hadith contestable. En sus, loin d’être une prescription linguistique, il ne fait que rapporter une mimique dont les référents sont invérifiables.


Autant le Coran que le Hadith ont choisi d’adopter l’équivoque concernant l’habit de la femme. Pour l’Islam, la piété (attaqwa) est le meilleur habit, le reste n’est que convention sociale variable selon les contextes. Ce n’est que des siècles plus tard qu’est apparue la tenue prétendue «islamique», symbole d’une appartenance idéologique qui cache ses desseins politiques en violant la parole de Dieu, en s’opposant à la volonté divine et en s’arrogeant le droit de détenir le sens vrai du texte coranique, alors que ce même Coran dit : «… Dieu seul en connaît l’interprétation et les hommes enracinés dans la science diront : Nous croyons au Livre, tout ce qu’il renferme vient de notre Seigneur. Les hommes sensés réfléchissent» (verset 7, sourate 3).


Olfa.Youssef.
(Universitaire, écrivain , directrice de la BNT )


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